mardi 21 juillet 2009

A lire et à relire




Il y a des textes et des chansons qui ne retiennent l'attention que le temps qu'ils durent, mais il y en a également, comme celui qui suit qui ont pour vocation de survivre à leurs auteurs et/ou interprètes.


Ni les droits de l'Homme ;
Ni les droits de l'Homme sous toutes ses formes ;
Ni aucune opposition, n'a pris part à mon malheur ;
Sauf le peuple, comme un seul homme
A osé défier la peur.

Ce parti ou celui là ;
Je ne me gênerai pas,
A les torpiller haut et bas ;
Sans relâche, mais sans mépris.

Pour que les geôles s'effondrent ;
Pour que tous les bourreaux sombrent

Dans la triste nuit des ombres ;
Retirons nos baillons ,
Redorons nos blasons.


Accueillons cette lueur présage de bonheur ;
Toutes et tous ;
Pour une ALGÉRIE Meilleure
Et pour une DÉMOCRATIE majeure.

Matoub Lounès In "Histoire d'un pays damné" (1990/1991)

dimanche 28 juin 2009

Evénements de Kabylie 2001

Ceci est un article publié en son temps, mais que je juge toujours d'actualité, ce pourquoi j'ai choisi de le reprendre integralement tel que publié sur le site de Algéria interface.

KABYLIE: LES DESSOUS DE L’ENQUÊTE DE LA COMMISSION ISSAD
Algeria Interface, 8 mai 2003
Alger, 8 mai 2003 - En juillet 2001, la commission nationale d’enquête sur les événements de Kabylie, présidée par l’avocat Mohand Issad, rendait son rapport au chef de l’Etat. Ce document, qui suggère les noms des responsables de la répression, a été jeté aux oubliettes par la Présidence et n’a pas été exploité par le mouvement des aârouch, les partis politiques ou les journaux. Comment cette enquête a-t-elle été possible? Mohand Issad livre avec prudence l’envers du rapport. Alger, 8 mai 2003 - Le 2 mai 2001, rentré chez lui après une matinée ordinaire de travail dans son cabinet de la place des Martyrs, Mohand Issad savoure tranquillement une cigarette lorsque le téléphone sonne. Au bout du fil, Ali Benflis lui demande de lui rendre visite au Palais du gouvernement. Même si le Chef du gouvernement n’est pas un inconnu pour Mohand Issad - «C’est quelqu’un que je connais, on se tutoie, c’est un confrère et un ami» -, sa surprise est grande. Il faut dire que depuis qu’il a rendu, à l'automne 2000, le diagnostic du système judiciaire algérien dans un rapport commandé par la Présidence, ce spécialiste de droit international ne s’occupe plus que de son cabinet et de ses cours à l’université.
Lorsqu'il retrouve M. Benflis et qu’il s’entend demander de présider une commission d’enquête sur les événements de Kabylie, la première réaction de Mohand Issad est de s’écrier: «Pourquoi moi? Qui m’a fait cette vacherie?!». Aujourd’hui, évoquant ces événements avec plus ou moins de sérénité et de distance, cet avocat «au sens aigu de l’Etat», affirme avoir accepté cette mission parce qu’il ne pouvait «pas se dérober».
«Ce n’est pas un cadeau, les gens doutaient de moi, moi aussi je doutais…» C’est pourtant sans avoir demandé le moindre délai de réflexion que Mohand Issad a rendu sa réponse à Ali Benflis, sans avoir non plus exigé d’engagements particuliers du gouvernement. Il s’en est tenu, explique-t-il, à la parole donnée par Benflis: «Il m’a dit: tu fais ce que tu veux, tu composes ta commission comme tu veux, tu entends les personnes que tu veux, tu te déplaces comme tu veux, et on met les moyens à ta disposition». Mohand Issad ne rencontrera le président Bouteflika qu’une fois le rapport rendu, trois mois plus tard, en juillet 2001. L’avocat est lapidé d’avance par journaux et militants politiques, coupable selon eux d’avoir accepté de diriger une commission dont on affirmait d’emblée qu’elle n’aura d’autre mission que de blanchir le pouvoir des crimes commis contre les jeunes manifestants. Une hostilité que Mohand Issad explique: «Le pouvoir laisse faire, puis crée une commission d’enquête, ça peut paraître farfelu. Ensuite, une enquête se fait sur un événement clos, mais nous, nous étions en mission alors que les événements en Kabylie se poursuivaient. Cela peut paraître surréaliste». Et de reconnaître: «Nous-mêmes, nous n’étions pas convaincus.»
Des envoyés spéciaux, membres de la commissionUne fois revenu de sa surprise, Me Issad téléphone aux personnes qu’il veut faire participer à l’enquête, en général celles avec qui il avait déjà travaillé pour le rapport sur la réforme de la justice. Deux autres personnes ont «été envoyées», dit Me Issad, pour faire partie de la commission: «On m’a suggéré deux personnes. Je les ai prises toutes les deux et je ne le regrette pas. J’ai eu un peu de mal à travailler avec l’une d’entre elles, à cause de son caractère. J’ai en revanche gardé des relations amicales avec la deuxième. Celui-là, en fait, on ne me l’a pas suggéré, il est venu tout seul. Mais je me doutais bien qu’il était envoyé.» L'avocat fait probablement référence à des agents des services de renseignement. En tout cas, interrogé sur l'identité de ces personnes et de ceux qui les envoient, il ne répond pas: «Je n’en sais rien, mais je ne regrette pas, il s’est montré dévoué et loyal». Il accepte la présence de ces «membres spéciaux» de la commission parce que, dit-il, «si on m’envoie quelqu’un, l’essentiel est que je sache qu’il est envoyé, s’ils sont capables de me faire avaler n’importe quoi ça veut dire que c’est moi qui suis un imbécile.»
Issad crée aussi la surprise en invitant six directeurs des «journaux les plus en vue» à participer à l’enquête. «Je leur ai dit: ce n’est pas une œuvre clandestine, venez, si je suis manipulé, vous en serez les meilleurs témoins et je vous autorise à publier au fur et à mesure qu’on avance.» L'invitation a été déclinée. «Ce sont eux qui ont refusé. Je leur ai marqué un point. Je pense que ça les a gênés. Ils ne s’attendaient pas du tout à cette offre-là». Le meilleur moyen de démontrer son indépendance, dit-il, était «d’inviter précisément ceux qui n’ont jamais cru à l’indépendance de quiconque dans ce pays: les journalistes». Les directeurs de ces journaux ont prétexté l’incompatibilité entre leur «mission d’informer» et celle «d’enquêter». Me Issad, «pas très convaincu» par cet argument, est tout de même satisfait: «J’étais content de les avoir sollicités et je suis content qu’ils aient refusé. Ils m’auraient empoisonné l’existence. Si ce qu’on dit est vrai, que chaque journal a sa chapelle, vous imaginez la difficulté dans laquelle on m’aurait mis!»
La commission reçoit des kilos de documentsLe 16 mai s’est tenue la première plénière sans que la liste des 26 membres ait jamais été transmise à la Présidence ou au gouvernement. Les ministères de l’Intérieur et de la Justice, la Direction générale de la sûreté nationale (police, ndlr), la Gendarmerie nationale, le Département de renseignement et de sécurité (DRS, ex-Sécurité militaire) du ministère de la Défense, les groupements de gendarmerie de Tizi-Ouzou et Béjaïa ainsi que ces deux wilayas ont été destinataires d’un même courrier. «Je leur ai demandé de nous envoyer les correspondances, ordres, rapports, enregistrements des messages radio et téléphoniques, entre le 18 et le 30 avril 2001 sur les wilayas de Boumerdes, Tizi-Ouzou, Bejaia, Sétif et Bouira», rappelle Mohand Issad. Huit jours plus tard, ces documents parviennent à la Cour suprême, où siège la commission. «Je n’ai pas eu la transcription des conversations téléphoniques ou radio, ailleurs ça se fait, nous avons eu les fax». Seul le DRS a répondu par un: «Nous ne sommes pas impliqués, ce n’est pas notre mission». Chose étonnante s'il en est: non seulement le DRS est pleinement impliqué dans la vie politique nationale, mais il dispose surtout de centres d'investigation au niveau de toutes les wilayas et qui n'ont pas pu assister en simples spectateurs à des émeutes d'une telle violence dans une région aussi sensible que la Kabylie. Issad, lui, affirme: «Nous n'avons pas rencontré le DRS au cours de nos investigations. En revanche, les autres institutions sollicitées par la commission nous ont transmis des documents essentiels. Ça prouve qu’elles n’ont pas censuré ou qu’elles n’ont pas eu le temps le faire.»
La commission a également reçu des rapports d’autopsie, des projectiles, provenant de plusieurs parquets de Kabylie et livrés sous scellés par le ministère de la Justice. Une équipe d’experts en balistique a été dépêchée par la DGSN sur demande de la commission. Issad est étonné par la disponibilité de tous ces services. «Nous n’avons pas fouillé pour savoir s’ils nous ont caché des choses. Mais ils nous ont envoyé des kilos de documents, beaucoup de photos, des cassettes, ils ont été d’une disponibilité totale.» Issad écarte l’idée de s’entretenir avec les responsables hiérarchiques du ministère de l’Intérieur, de la DGSN ou de la Gendarmerie, car dit-il, «je n’ai jamais vu un responsable algérien reconnaître sa responsabilité dans quoi que ce soit». Le travail est partagé entre ceux qui compulsent les documents à Alger et ceux envoyés en Kabylie pour enquêter. Cinq groupes de travail épluchent les documents reçus. «J’étais le seul à centraliser toute l’information, je l’ai fait à dessein pour que personne n’ait la totalité de l’information, afin d'éviter les fuites. Je ne voulais pas qu’on anticipe sur les conclusions de l’enquête».
Il n’y a pas eu de machinationC’est Me Ghouadni Mahi, bâtonnier d’Oran, qui a rencontré, à la prison militaire de Blida, le gendarme Mestari Merabet, qui a tout déclenché en tirant sur Massinissa Guermah le 18 avril 2001, dans la brigade de gendarmerie de Beni Douala. Entre sa déposition préliminaire et celle présentée devant le juge d’instruction militaire, Mestari change de version. Mais «c’est un pauvre gosse perdu que rencontre Me Ghouadni à la prison de Blida, dit Me Issad, ce n’était plus le Mestari d’avant. On m’a dit de lui, sous toutes réserves, qu’à Beni Douala, il jouait un peu les Rambo, comme tout garçon revêtu de l’uniforme et portant une kalachnikov. Mais en prison, en attendant de passer devant le tribunal militaire, il s’aperçoit qu’il a été à l’origine d’un séisme. On lui dit: «tout cela c’est de ta faute». Ce n’était plus le même homme. On découvre en prison un garçon effaré. Qu’il change de version ne m’étonne pas du tout». Ce qui est arrivé dans la brigade de gendarmerie de Beni Douala, conclut Me Issad, n’a pas été prémédité pour faire plonger la Kabylie dans le chaos.
«Nous n'avons pas décelé de complot. Je suis persuadé que les événements ont été récupérés après, en cours. Quand on prépare un complot, on n’en confie pas l’exécution à un semi-analphabète comme Mestari. On ne commence pas par ramasser des collégiens sur le chemin du stade pour les tabasser. Les complots se trament, se conçoivent de façon plus sophistiquée.» Le geste de Mestari contre Guermah, estime Mohand Issad, n’est qu’un acte d’abus de pouvoir comme il y en a tant, prolongement de l’impunité dont bénéficient les gendarmes. Issad ne pense pas que Mestari ait délibérément voulu tuer Guermah. Mais il a commis une série de fautes tellement graves que les juristes assimilent son acte à l’homicide volontaire. «Il a peut-être voulu tirer à côté, peut être ailleurs, le problème ne se pose pas comme ça pour les juristes, la question est: a-t-il voulu tuer?» Pour Me Issad, le cas Mestari, en lui-même, «n’est qu’une affaire de police judiciaire, il n’est pas parlant, ce qui est important ce sont les 123 morts et le lien entre tous ces morts».
«Fouillez les gendarmes avant chaque sortie !»Dès que la dépouille de Massinissa Guermah a été ramenée de l'hôpital d’Alger à Beni Douala et qu’il a été enterré en présence de plus de 4.000 personnes, «ça a été comme une traînée de poudre», dit Mohand Issad. «Là, il y a eu ordre de tirer sur la foule, je pense qu’on leur a dit: défendez vos brigades, défendez la République». Pourtant, les membres de la commission qui examinent les correspondances de la gendarmerie découvrent plusieurs instructions datant du 15 avril (en prévision des commémorations annuelles du «Printemps berbère» de 1980), du 25 avril et du 21 mai 2003, interdisant l’usage des armes contre les manifestants et ordonnant que «les munitions de guerre (soient) retirées aux personnels agissant en opération de maintien de l’ordre». Le message du 21 mai, émis par le commandant du groupement de gendarmerie de la wilaya de Béjaïa, ordonne même «la fouille à corps» de chaque gendarme avant chaque sortie. Le rapport contient des extraits de telles instructions et, à ce jour, il n’y a pas eu le moindre démenti.
Mohand Issad garde de la découverte du message du 21 mai un souvenir épique. «Imaginez ça! La personne qui a découvert ce document est venue en tremblant me voir, elle me dit: ce n’est pas normal, c’est le groupement de gendarmerie qui ordonne la fouille des gendarmes. Les gendarmes n’obéissent-ils pas? Il ne suffit pas de leur interdire de tirer, il faut en plus les fouiller! Mais dans quel pays nous vivons?» La découverte de cette pièce oriente l’enquête: «nous nous sommes dit que, probablement, d’autres instructions sont parvenues aux gendarmes leur disant: n’écoutez pas vos chefs, tirez.»
La loi est claire, mais personne ne veut la lire«Personne n’a contesté nos conclusions. La presse a dit: il n’y a pas de noms. Moi je réponds: vous êtes stupides, vous ne savez pas lire. C’est volontairement que nous avons décidé de ne pas donner de noms.» Pour Mohand Issad et toute son équipe, les noms et les postes de responsabilité de ceux qui ont donné l’ordre de tirer peuvent être clairement déduits du rapport. C’est à la société civile, à la justice que le Professeur Issad laisse la responsabilité de suivre la piste qu'il a ouverte, en se reportant tout simplement à la loi, aux règlements. Il a estimé, lui, avoir défriché le terrain en éliminant du tableau des responsabilités DRS, walis et commandement national de la gendarmerie. Demeure alors la responsabilité de la hiérarchie militaire dont dépendent, pour les opérations de «rétablissement de l'ordre», les groupements de gendarmes. La «hiérarchie militaire», en l'occurrence, est celle qui remonte des secteurs militaires des wilayas de Kabylie aux commandements des 1 ère et de la 5 ème régions militaires, au commandement des forces terrestres et, enfin, à l'état major de l'armée.
L'interprétation de son rapport par les journaux comme une charge contre la gendarmerie ou le DRS était «une lecture étroite», estime Me Issad. Concernant le DRS, il est formel: «Nous n’avons pas rencontré le DRS durant notre enquête. Le DRS n’a aucun intérêt à faire cela (plonger la Kabylie dans le chaos, ndlr). Certains milieux ont peut-être des comptes à régler avec le DRS, héritier de la sécurité militaire. Quant à moi, j'ai fait mon rapport en mon âme et conscience.» Lorsqu’il faut mobiliser les forces de sécurité «contre une foule, c’est le wali qui doit réquisitionner les forces de l’ordre», rappelle-t-il, «mais les walis, dans ce cas-là, ont été mis en dehors de l’opération.»
La responsabilité de la hiérarchie militaire ainsi soulignée dans le déclenchement de la répression, la commission en identifie une autre. Personne, non plus, n’a donné l’ordre d’arrêter de tirer sur les manifestants. «Quand on écrit dans le rapport que pendant deux mois personne n’a donné l’ordre de cesser le feu, vous pensez à qui?», interroge-t-il, soulignant qu'«aucune autorité civile ne s'est manifestée». Même deux ans plus tard, Issad n’ira pas plus loin dans l’insinuation, le sort réservé à son rapport par la Présidence de la République ne l'y encourageant guère.
Élites et institutions peu intéressées par la vérité et la justiceSi une ou plusieurs personnes ont donné l’ordre de tirer, elles l'ont fait verbalement ou à travers des messagers, pense Issad pour qui «ce genre d’ordre ne se donne pas par écrit.» Mais, insiste-t-il, «les responsabilités ont été localisées par nous et par d’autres. Il n’y a pas de difficulté, hormis la mauvaise foi, à en tirer les conclusions, car ceux qui savent comment fonctionne l’Etat comprennent parfaitement ce que dit le rapport.» Issad estime avoir fait le travail qui lui a été demandé: «J’ai prouvé que c’était possible». C’est pour lui l’essentiel. Le plus étonnant, deux ans après la répression des émeutes, ce n’est pas tant qu’il n’ait pas livré de noms des responsables de la répression, réclamés par les médias: le deuxième rapport de sa commission est prolixe sur les ambiguïtés de la loi qui auraient conduit à considérer les opérations anti-émeutes en Kabylie comme des opérations de «rétablissement de l’ordre» à gérer directement par l’autorité militaire (la région militaire). En dépit de l'agacement que peut avoir causé, aux médias et militants politiques un Mohand Issad qui ne va jamais au-delà de l'insinuation, le plus étonnant est que personne, ni la Présidence qui a commandé ce rapport d'enquête, ni ceux qui exigent que justice soit faite, ne se soit penché sur des pistes aussi intéressantes que celles qu'il propose. C'est pour le moins significatif du peu d’intérêt que tous, institutions et élites politiques, par-delà leur adversité, portent à la vérité et la justice.Daikha Dridi

Evénements de Kabylie (printemps noir)

Rapport préliminaire de la Commission, dirigée par le professeur Mohand Issad, pour enquêter sur les "événements" de Kabylie du Printemps 2001.
Rapport préliminaire de la Commission nationale d’enquête sur les événements de Kabylie. (Juillet 2001) Publié par Algeria Interface, 27 juillet 2001
I - Introduction II - Les dégâts humains III - Les événements déclenchants IV - L’utilisation des munitions de guerre V - Les mises en garde VI - Les témoignages VII - La presse Conclusion
I - Introduction
Le 18 avril 2001, un jeune lycéen de 19 ans, Guermah Massinissa, reçoit dans le corps, à l’intérieur des locaux de la Brigade de gendarmerie de Béni-Douala, et d’après le rapport d’autopsie, trois des six balles de kalachnikov tirées en rafale par le gendarme Mestari. L’une des balles tirées a blessé un autre gendarme qui se trouvait à proximité.
Le jeune Guermah fut admis à la polyclinique de Béni-Douala, puis à l’hôpital de Tizi-Ouzou pour les premiers soins. Devant la gravité de ses blessures, il fut transféré à l’hôpital Mustapha à Alger. Il devait y décéder le 20 avril 2001 à 8h15.
Le 22 avril 2001, à Oued Amizour, dans la wilaya de Béjaïa, trois membres d’un groupe de collégiens, se dirigeant vers le stade en compagnie de leur professeur de gymnastique, sont interpellés par les gendarmes, dans des conditions irrégulières.
L’inhumation du jeune Guermah Massinissa, le 23 avril, devait donner lieu à des émeutes en série. Entre-temps, la gendarmerie rend public un communiqué dans lequel elle déclare que le défunt avait été interpellé "suite à une agression suivie de vol". Le ministre de l’Intérieur reprend la fausse information et déclare que la victime était un "délinquant de 26 ans" ; mais lors d’une conférence de presse le ministre reçoit un bulletin scolaire duquel il résulte que le jeune Guermah était en fait un lycéen.
Les deux bavures, aggravées par les fausses déclarations des autorités, que les populations considèrent comme diffamatoires pour la victime décédée, devaient donner lieu à une série d’émeutes dans les wilayas de Tizi-Ouzou et Béjaïa, et atteignent les wilayas limitrophes de Bouira, Sétif et Bordj Bou Arréridj.
Le mercredi 2 mai 2001, le professeur Mohand Issad était chargé par Monsieur le Président de la République d’entreprendre une enquête sur ces événements et lui donne toute latitude pour composer une commission ad hoc, mener les investigations comme il l’entendait, demander tout document et entendre toute personne qu’il jugera utile.
Le professeur Issad se mit en devoir de constituer la Commission d’enquête, pour une mission qui s’annonçait extrêmement difficile. Il entreprit des contacts. Il sollicita les uns, reçut l’offre spontanée d’autres. Il essuya quelques refus. Au bout d’une quinzaine de jours, une commission d’enquête était constituée, dont la liste est jointe en annexe, composée essentiellement d’avocats, d’enseignants de droit, de magistrats et de membres de la société civile, issus de toutes les régions du territoire national.
Une première réunion plénière fut tenue le 16 mai 2001 dans les locaux aménagés pour la Commission au siège de la cour suprême, à l’effet de dégager les axes d’investigations.
Immédiatement, se sont imposés les axes de recherche suivant : déplacement sur le terrain et audition de témoins, exploitation de la presse, exploitation de documents que le président devait solliciter des services concernés, soit le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice, la Direction générale de la Sûreté nationale, la Gendarmerie nationale, le Département des renseignements et sécurité du ministère de la Défense nationale, des wilayas concernées et groupements de gendarmerie de Tizi Ouzou et Béjaïa. Deux groupes furent constitués à l’effet de se rendre, l’un dans la wilaya de Tizi-Ouzou, sous la direction du bâtonnier Mahi Ghouadni, l’autre dans la wilaya de Béjaïa, sous la direction du bâtonnier Abdelwahab Benabid. Un troisième groupe devait rester à Alger, sous la responsabilité du professeur Issad.
Les groupes de Tizi-Ouzou et de Béjaïa ont accompli leur mission et rédigé des rapports. Le groupe resté à Alger réceptionna les documents qu’il a reçus des ministères de la Justice et de l’Intérieur, des wilayas de Tizi-Ouzou, Béjaïa, Bouira, Bordj Bou Arréridj et Sétif, de la Direction générale de la Sûreté nationale etu du Commandement de la Gendarmerie nationale.
Au retour des groupes qui se sont déplacés à l’intérieur du pays, cinq groupes de travail devaient de nouveau être constitués pour une exploitation plus poussée des données et des documents recueillis. Ces groupes furent placés sous la responsabilité respective de MM. Zekri, Ghouadni, Meziane, Benabid et Issad.
II - Les dégâts humains
1) - Dans un état nominatif des citoyens décédés, dressé par le ministère de l’Intérieur pour la période du 22.04.2001 au 28.04.2001, il ressort les chiffres suivants : 13 décès pour la wilaya de Béjaïa, 26 pour la wilaya de Tizi-Ouzou, 1 pour la wilaya de Sétif et 1 pour Bouira.
Dans un autre état global, arrêté au 12 mai 2001, le ministère de l’Intérieur donne les chiffres suivants :
wilaya de Tizi-Ouzou : 30 décès, 147 blessés par balles, 77 "autres blessés" wilaya de Béjaïa : 13 décès, 29 blessés par balles, 220 "autres blessés" wilaya de Sétif : 01 décès, 3 blessés par balles, 3 "autres blessés" wilaya de Boumerdès : 05 blessés par balles, 01 "autre blessé" wilaya de Bouira : 01 décès, 06 blessés par balle. Total : 45 décès, 190 blessés par balles, 301 "autres blessés". Pour les fonctionnaires de police, le même état donne 56 "autres blessés" à Tizi-Ouzou, 224 à Béjaïa, un à Boumerdès et 6 à Bouira.
Pour la gendarmerie nationale :
wilaya de Tizi-Ouzou : 78 "autres blessés" wilaya de Béjaïa : 81 "autres blessés" Wilaya de Sétif : 13 "autres blessés" Wilaya de Bouira : 08 "autres blessés". Aucun gendarme n’a été touché par balle ou autre munition. Soit un total de :
45 décès et 491 blessés parmi la population. 287 blessés dans les rangs de la police et 180 blessés dans les rangs de la gendarmerie. Si l’on reprend l’état nominatif des citoyens décédés au 12 mai 2001, on constate : Que le décès du jeune Guermah Massinissa le 20 avril 2001, non mentionné, porte le nombre des victimes dans la wilaya de Tizi-Ouzou à 31. Qu’à Tizi-Ouzou, le plus grand nombre de victimes est enregistré seulement sur deux jours, les 27 avril (8) et 28 avril (17), et à Béjaïa sur trois jours, soit les 25 avril (3), 26 avril (6) et 28 avril (4).
Que ces décès ont eu lieu dans plusieurs localités différentes : wilaya de Tizi-Ouzou : 14 localités wilaya de Béjaïa : 8 localités wilaya de Sétif : 1 localité wilaya de Bouira : 1 localité
Soit 24 localités différentes, réparties sur 4 wilayas de Kabylie, et plus précisément 22 localités réparties sur les deux wilayas de Tizi-Ouzou et Béjaïa. D’après un autre état nominatif du même ministère de l’Intérieur, arrêté au 11 juin 2001, le dernier chiffre passait à 27 localités touchées (16 à Tizi-Ouzou et 11 à Béjaïa). Le nombre des décès passait à 34 à Tizi-Ouzou, 17 à Béjaïa, tandis qu’on enregistrait un 2e décès à Bouira et un décès à Alger. Mais il résulte de cet état, arrêté au 11 juin 2001, que le dernier décès est survenu le 29 mai à Tizi-Ouzou, le 27 mai à Béjaïa, le 26 mai à Bouira, tandis que le jeune Haniche Hamid, blessé le 31 mai lors des manifestations d’Alger, succombait à ses blessures le 6 juin 2001. Au 11 juin 2001, le nombre de décès s’élevait à 55 parmi la population et un parmi les gendarmes, mort accidentellement par électrocution.
En revanche, et du 11 mai au 11 juin 2001, le nombre de blessés par balles passait pour les cinq wilayas (Tizi-Ouzou, Sétif, Boumerdès et Bouira) de 190 à 305. Le nombre des "autres blessés", qui était de 301 au 12 mai, n’est pas indiqué dans l’état établi au 11 juin.
Pour les services de sécurité, le nombre de blessés, dont aucun par balle, passait de 467 (287 pour la police et 180 pour la gendarmerie) à 1579. On peut s’étonner de ce bond dans le nombre des blessés, et du nombre plus important dans les rangs de la police que dans ceux de la gendarmerie. L’explication pourrait se trouver, d’une part dans le fait que la police n’a pas tiré par balles là où elle a eu à intervenir, ce qui l’a rendue plus exposée, d’autre part dans le fait que la gendarmerie elle-même a moins tiré par balles à partir du 11 mai, date du premier état global, ce qui l’a rendue plus vulnérable.
2) Des blessés par balles et des morts, du 18 au 28 avril 2001, en Kabylie (document arrêté au 3 juillet 2001)
Les données traitées ont pour source exclusive des documents officiels, communiqués par les services des ministères de la Justice, de l’Intérieur, de la Santé. Le 18 avril 2001 Guermah Massinissa
19 ans, est blessé en fin d’après-midi dans les locaux de la Gendarmerie de Béni-Douala. Il est blessé aux deux membres inférieurs par une rafale tirée d’un kalachnikov. Provoquées par une munition de guerre, les blessures sont gravissimes aux deux cuisses, avec lésions complexes du fémur droit et plaies vasculaires, notamment à la face postérieure du genou gauche. Il sera finalement transféré et opéré à Alger, durant la nuit. Le décès survient le 20 avril à 8h15. Il est évident que la mort de Guermah Massinissa est la conséquence des blessures par balles reçues aux deux membres inférieurs. Les blessures présentaient d’emblée un caractère "d’urgence extrême", c’est-à-dire que le pronostic vital était immédiatement mis en jeu.
Le pronostic a été aggravé par les délais imposés au traitement. Les constatations nécropsiques ne font état d’aucune autre lésion, fermée ou ouverte, que celles provoquées par les balles et les traitements médico-chirurgicaux consécutifs. En particulier, la recherche d’ecchymose et de rupture traumatique d’organe interne est restée sans résultat.
1 - DGSN : état numérique par qualité des personnes décédées et blessées lors des manifestations du 22 au 28 avril 2001.
Annexe La page comporte trois tableaux intéressant les wilayates d’Alger, Tizi-Ouzou, Béjaïa, Sétif, Boumerdès et Bouira. Nous ne travaillerons ici que sur le total des blessés par balles de l’ensemble des wilayas concernées.
1.1. premier tableau : Ce tableau montre que 50 + 217 = 267 citoyens ont été atteints par balles. La proportion des citoyens morts par balles serait donc : 50/267* 100 = 18,7 %, soit environ un mort pour cinq ou six blessés.
1.2. deuxième tableau : Il compte, sur la même page, pour la même période et les mêmes lieux, les pertes des fonctionnaires de police. S’il signale un total de 416 blessés, dont aucun ne l’est par balle, le nombre des décès est chiffré à zéro. Ce tableau indique donc que les fonctionnaires n’ont subi aucun tir par arme à feu.
1.3 - troisième tableau : Il comporte les pertes des gendarmes. Il indique : Décédé : 001 (Béjaïa) Blessé par balle : 001 (Tizi-Ouzou) Autres blessés : 180 La mort du gendarme à Béjaïa n’est pas imputée à une blessure par balle. Le compte rendu de nécropsie rapporte la mort à une électrocution. Ce tableau indique donc qu’un seul fonctionnaire a été blessé par arme à feu. Le blessé par balle l’a été sur le territoire de la wilaya de Tizi-Ouzou, sans autre détail.
Il apparaît donc que, sur l’ensemble des wilayas d’Alger, Tizi-Ouzou, Béjaïa, Sétif, Boumerdès et Bouira, deux cent soixante sept citoyens ont été blessés par balles. parmi eux, cinquante sont morts. Le taux global de mortalité serait donc de 18,7 % sur l’ensemble des wilayate d’Alger, Tizi-Ouzou, Béjaïa, Sétif, Boumerdès et Bouira. Rapporté à chacune des wilayas où il a été constaté des décès par balle (Tizi-Ouzou, Béjaïa, Sétif et Bouira), les chiffres deviennent : Tizi-Ouzou : total blessés par balles : 157, Béjaïa : 86, Sétif : 4, Bouira : 16
Total morts par balles : Tizi-Ouzou : 31, Béjaïa (16), Sétif (1), Bouira (2).
Pourcentages Tizi-Ouzou (19,75), Béjaïa (18,6), Sétif (20), Bouira (12,5). Compte tenu de l’absence totale de pertes graves parmi les forces de l’ordre (un seul blessé par balle, dans des conditions non-précisées) en face de proportions de civils tués par balles qui apparaissent considérables, l’utilisation d’armes et de munitions de guerre pourrait apparaître largement excessive.
2- DGSN : état numérique global des personnes décédées et blessées lors des manifestations du 22 au 28 avril 2001.
Annexe 2. Ce document comporte deux tableaux, reproduits ci-dessous : En ne prenant en compte que le total des blessés par balles de l’ensemble des wilayas concernées, Total décédés : 51 Total blessés par balles : 218 Total autres blessés : 900
Citoyens, total décédés : 50 Citoyens, total blessés par balles : 217 Policiers, total blessés : 416 Gendarmes, total blessés : 181 Citoyens, total autres blessés : 304 Gendarmes, total décédés : 001 (électrocution) Policiers, total décédés : 000
Ces deux tableaux confirment les impressions précédentes : L’étude plus fine, en cours, par wilaya et par nature des lésions accentuerait l’impression d’une utilisation excessive des armes à feu par les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre.
Il apparaîtrait que le nombre des civils blessés par balles présente une proportion de morts, variant selon les lieux et les jours, de un sur dix, à un sur trois.
Cette proportion, portant sur des blessés civils dépourvus d’armes à feu, paraît effrayante. Elle n’est comparable qu’avec les pertes militaires, lors des combats réputés les plus durs en temps de guerre. les forces de l’ordre, aux mêmes lieux et moments ne présentent aucun blessé par balles, à fortiori aucun mort par balle.
3. Evaluation de l’importance et de la localisation des blessures. . Elle ne porte donc que sur une partie de l’ensemble des décès répertoriés. Cependant, le nombre des dossiers exploitables (44) par rapport à l’ensemble des décès (51) permet une appréciation significative. Cette évaluation n’a été possible qu’à partir des comptes-rendus de nécropsies exploitables. Analyse des impacts : 44 dossiers exploitables
3.1 - siège
Tête et cou 17 dont 2 impacts occipitaux Thorax : 21 incluant 6 impacts dorsaux. Abdomen : 5 dont un impact postéro-inférieur. Les cadavres montrent une prépondérance des impacts sur la tête, le cou et la moitié supérieure du thorax. Il y a beaucoup moins d’impacts abdominaux ou thoraco-abdominaux. La répartition de ces localisations paraît difficilement imputable au hasard statistique.
3.2 - blessures
Les orifices d’entrées sont petits, de l’ordre du centimètre. Ils sont toujours dans les normes d’aspect et de dimensions des munitions de guerre, arrivant sur la cible avec toute leur stabilité. Les descriptions dont nous disposons ne permettent pas d’évaluer avec précision la distance de tir, en particulier nous n’avons aucun élément suffisant qui permettrait d’affirmer un tir à "bout touchant". Cette éventualité n’est jamais mentionnée dans les rapports de nécropsie mis à notre disposition. Les orifices de sortie sont le plus souvent de l’ordre de plusieurs centimètres. Ils correspondent à ce que l’on rencontre habituellement dans les blessures par munition de guerre. Les trajets à l’intérieur des corps montrent, là encore, des lésions malheureusement banales dans ce type de blessures.
3.3 - nature des projectiles. L’analyse des comptes-rendus de nécropsie, en excluant trois dossiers inexploitables, révèle que :
3.3.1 - Les plaies décrites portent toujours les stigmates des lésions causées par des projectiles à haute vélocité (supérieure à 800 m/s). Ces blessures, provoquant des dégâts considérables dans certaines configurations de direction d’impact et de nature de la cible (crâne, squelette etc.), ont pu faire évoquer par certains l’utilisation de balles "explosives".
3.3.2 - N’ayant pu disposer d’aucun échantillon de projectile ou de fragments (exception faite du cas Guermah). Dans ce cas particulier, personne n’a évoqué l’éventualité de l’utilisation de projectiles non réglementaires. Il s’agissait de munitions de guerre, tirées par un AK 47, ni des radiographies des victimes avant l’extraction des agents vulnérants, aucun commentaire ne peut être exprimé à ce propos. Cependant, nous ne pouvons, à partir des éléments à notre disposition, dire si les blessures résultent de projectiles tirés par des fusils classiques ou d’armes de précision, ou de AK 47.
Cependant, les débris de projectiles qui ont pu être aperçus sur certaines chaînes de télévision, évoquent - malgré la brièveté des images - la probabilité de fragments de la chemise en laiton des projectiles ordinaires des armes de guerre en usage. D’autres ont soupçonné l’utilisation d’armes de grande précision (fusils à lunette). Ces armes font naturellement partie de l’arsenal des forces spéciales, destinées notamment à la neutralisation des preneurs d’otages. Elles ont pu être observées dans notre pays, en particulier sur les lieux de certains barrages de contrôle. Mais les soupçons exprimés par certains de l’utilisation de ces armes et de leurs munitions spéciales ne peuvent être, à ce jour, ni infirmées ni confirmées. Nous ne disposons en effet d’aucun témoignage précis, ni d’aucun élément de preuve matérielle.
3.4 - des munitions de guerre
Nous ne disposons d’aucun document ou pièce ni rapport d’expertise balistique, exception faite du cas Guermah. Dans ce cas particulier, personne n’a évoqué l’éventualité de l’utilisation de projectiles non réglementaires. Il s’agissait de munitions de guerre, tirées par un AK 47. Nous n’avons pas obtenu les dossiers radiologique ni des morts, ni des blessés par balles ayant survécu. Leur examen serait très important : Les images des projectiles, examinées sur les radiographies faites au moment de la première consultation hospitalière, seraient peu suspectes de "montage". L’analyse de ces images permettrait l’éventuelle identification de différents types de projectiles, ou, au contraire, un modèle unique. Cette analyse porterait autant sur les fragments de "chemise" que sur le contenu de cette enveloppe. Nous avons cependant une expertise balistique (Guermah) qui dit que les orifices de sortie des balles AK47 peuvent faire plus de six centimètres de diamètre. Les munitions de guerre réglementaires pour armes légères, type "OTAN" et type "russe" sont bien connues. Elles ne sont pas discutées quant à leur conformité avec les traités internationaux. Elles sont cependant construites pour effectuer les délabrements les plus importants possibles. Elles sont construites pour : Effectuer leur trajectoire avec une vitesse "subsonique", entre 850 et 950 m/s Une stabilité (et donc précision) maximale jusqu’à atteindre une cible distante de 300 et même 400 mètres. Pour se déstabiliser au maximum, dès le contact avec elle. Du fait de cette déstabilisation, les mouvements du projectile, à l’intérieur du corps de la cible, provoquent des cavités d’un diamètre supérieur à 10 fois la longueur du projectile. Cette cavité est soumise à une pression qui atteint N fois celle de la pression atmosphérique. La rencontre de tissus denses (os) aggrave les dégâts . Au niveau du crâne, les lésions décrites sont considérables : liquéfaction du cerveau et "éclatement" de la boîte crânienne sont couramment observés. Le fusil d’assaut AK47 est réputé avoir une bonne précision jusqu’à 100 mètres. Le fusil "séminov" est réputé avoir une bonne précision jusqu’à 300 mètres, et plus dans de bonnes conditions de réglage et de tir. Ses projectiles peuvent provoquer des lésions mortelles jusqu’à près de mille mètres. Les balles "modernes" ont été créées pour remplacer les balles "full metal jacket » de la fin du siècle dernier : ces projectiles en effet, restaient stables au cours de leur traversée de la cible. Et, sauf à provoquer une hémorragie foudroyante par déchirure de gros vaisseaux, elles n’entraînaient que "peu" de dégâts… Les blessés pouvaient rapidement redevenir des soldats opérationnels… Certains auteurs vont jusqu’à dire que les munitions modernes, normalement agréées par les règles internationales, sont très proches, par leurs effets, de ce qui était attendu des balles fabriquées pour se fragmenter au maximum, et dites "explosives".
Conclusion :
Toutes les blessures que nous avons eu à connaître sur documents nécropsiques sont compatibles avec les effets qui sont observés "normalement" lors des blessures occasionnées par des munitions de guerre. Nous ne disposons d’aucun élément permettant de pousser plus loin nos conclusions.
Conclusion générale
1 - Pendant la période considérée, les blessés par balles l’ont été par des munitions de guerre. 2 - Les blessures infligées correspondent à ce que l’on attend de ce type de munition. 3 - L’absence de tout document d’expertise (autre que celui de Guermah), d’indice matériel ou d’image radiologique, ne permet - eu aucun cas - de définir avec précision le type exact de l’agent vulnérant. 4 - Nous avons une expertise balistique (Guermah) qui affirme que les orifices de sortie des balles AK 47 peuvent avoir un diamètre de plus de six centimètres. 5 - Le nombre des morts paraît considérable, par rapport au nombre total des blessés par balles dans les mêmes conditions de lieu et de temps. 6 - Les morts ont été le plus souvent immédiates ou très rapides. 7 - La plupart des morts ont été touchés dans les parties vitales les plus fragiles, situées dans la partie haute du corps humain (au-dessus du sixième espace intercostal) et qui laissent peu de chances à une thérapeutique, fut-elle pratiquée d’extrême urgence. 8 - La grande proportion de ces localisations mortelles paraît difficilement imputable au hasard de la dispersion des projectiles. 9 - Moins grande est la proportion des blessés au ventre, la mort survenant alors malgré les efforts thérapeutiques.
10 - L’importance des morts civiles par armes à feu resterait considérable s’il s’était agi d’un combat opposant deux belligérants combattant à armes égales.
III - Les événements déclenchants
I - Affaire Guermah Massinissa :
1) Le 18 avril 2001 à 18h30 quatre jeunes gens se présentent à la brigade de gendarmerie de Béni-Douala pour y déposer plainte à l’encontre d’un groupe d’autres jeunes gens pour agression et vol à hauteur du lycée situé à 200 m de la Brigade.
Selon un télégramme du 19 avril 2001, envoyé par la brigade de Béni-Douala au chef du groupement de gendarmerie de Tizi-Ouzou, quatre gendarmes se sont déplacés à bord du véhicule des plaignants, et à leur retour, en compagnie de Guermah Massinissa et Merakeb Koceila, sont entrés directement dans la salle d’attente en attendant d’informer le chef de brigade "qui était dans son bureau où il notifiait à la famille Matoub des convocations judiciaires". Au retour des gendarmes, il devait être 19h, la "famille Matoub" habite à Tizi Hibel, à plusieurs kilomètres de la brigade. Dans la salle d’attente, le gendarme Mestari Merabet actionne, "par inadvertance" son arme, un kalachnikov, dont la sûreté était désactivée, et une rafale de 6 coups est sortie, dont trois devaient aller vers le sol et trois autres toucher un autre gendarme, Benferdi Mounir, et le jeune Guermah Massinissa. L’identité des plaignants ne sera pas relevée sur l’instant, ceux-ci ayant quitté la brigade immédiatement après l’incident.
Dans une lettre du 21 avril 2001 (n° 140/2001) adressée à Monsieur le ministre de l’Intérieur, le commandant de la gendarmerie nationale reprend la version du tir "par imprudence" et d’une "rafale de 6 coups". A cette lettre, étaient joints un tract du RCD et une "requête" d’un groupe de "citoyens de Béni-Douala" , à Monsieur le commandant du groupement de wilaya de gendarmerie de Tizi-Ouzou. Le tract du RCD demande "un rappel à l’ordre des darkis qui .. ; se défoulent sur nos jeunes et les exemples sont nombreux", et "l’installation d’une sûreté de daïra, car Béni-Douala n’est plus un petit bourg des années 70, mais un lieu de vie pour 35.000 personnes qui méritent d’être encadrées civilement".
L’appel du "groupe de citoyens" dénonce, notamment, "les actes irresponsables de certains darkis…", "la légèreté avec laquelle ces mêmes éléments font usage de leurs armes", "les bastonnades… dont nos jeunes font l’objet", et demande, entre autres, "d’interdire les brutalités envers les citoyens de tous âges et de n’appliquer que la loi, toute la loi à tout contrevenant", "de moraliser les actions de l’ensemble des éléments…". Ils ajoutent que "un darki a exigé sous la menace de son arme du personnel médical de la polyclinique d’abandonner les soins prodigués au jeune , victime de la rafale et d’une hémorragie, pour s’occuper de son collègue, touché au talon et jouissant de toutes ses facultés".
Le lieutenant-colonel Hellal, auteur d’un rapport du 3 mai 2001, reprend la version de l’accident par imprudence et déclare que, dans l’attente du chef de brigade qui se trouvait dans son bureau, le darki Mestari Merabet "alors qu’il tenait de sa main droite son arme non sécurisée et armée balle au canon alors qu’il l’ignorait, a soudain pressé sur la détente et une rafale s’est déchargée et a atteint Guermah Massinissa, qui était assis, et le darki auxiliaire Benferdi Mounir.. ;". Le gendarme Mestari Merabet persiste à déclarer "qu’il a appuyé sans (se) rendre compte sur la détente d’où une rafale de 6 balles…". Devant le juge d’instruction militaire de Blida, le gendarme Mestari Merabet déclare s’être rendu, lui et ses collègues, à bord du véhicule des plaignants, au motif qu’il leur était interdit de se déplacer à bord du véhicule de la brigade en dehors des heures de service.
Interrogé , le commandant régional de Tizi-Ouzou répond par écrit qu’il n’y avait aucune instruction quant à l’interdiction d’utiliser le véhicule de la brigade en dehors de certaines heures, et que le chef de brigade a ordonné aux gendarmes de se déplacer à pied, compte tenu de la proximité des lieux.
Les conditions de l’interpellation ne sont pas élucidées. Alors que le rapport du lieutenant colonel Hellal du 3 mai 2001 déclare qu’à la vue des gendarmes le groupe (des agresseurs) s’était "dispersé et fui vers la forêt", et que les éléments de la brigade n’ont pu en arrêter qu’un seul, qui a été conduit vers la brigade à pied, tandis que les autres éléments ont appréhendé un second garçon qui a été conduit à la brigade à bord d’un véhicule. Le père de Guermah Massinissa, Guermah Khaled, déclare que son fils était à la maison en train de réviser ses cours lorsqu’il est descendu dans la rue après avoir entendu du vacarme, et qu’il a été arrêté par les gendarmes qui passaient. Le jeune Merakeb Koceïla déclare avoir été battu par le gendarme Benferdi Mounir, qui aurait réservé le même traitement à Guermah Massinissa.
Merakeb Koceïla est le seul à avoir parlé de 2 rafales, ce qui sera confirmé par l’expertise balistique. Toujours devant le juge d’instruction militaire, le gendarme Mestari Merabet déclare avoir appuyé sur la détente "sans se rendre compte", et qu’il tenait de sa main droite son arme non sécurisée et armée, balle au canon, "alors qu’il l’ignorait".
Toujours devant le juge d’instruction militaire, le gendarme Mourad Fouad déclare que "le pistolet-mitrailleur du gendarme Mestari Merabet a glissé de son épaule et au moment où il tentait de le récupérer, il a appuyé sur la détente, d’où la rafale…".
Le gendarme Merzoug Youcef déclare n’avoir pas vu l’arme glisser de l’épaule du gendarme Mestari Merabet. Le gendarme Rouabah Rabah non plus n’a pas vu "le mouvement de chute de l’arme". Mestari lui-même ne donne pas cette version. C’est seulement le 20 juin 2001 devant les experts en balistique que le gendarme Mestari fait sienne la version de la chute de l’arme :
"Mon arme était accrochée à mon épaule droite et la bouche du canon était pointée vers le sol. En conduisant la victime vers le banc qui se trouve en face de l’entrée de la salle, subitement l’arme s’était glissée (sic) de mon épaule. Lorsque j’ai voulu la réajuster une rafale de 6 cartouches s’était déclenchée dont 3 ont occasionné des blessures sur mon collègue qui se trouvait à la droite .. ; et les 3 autres sur la victime qui était à ma gauche".
Mais d’après les experts, il y a eu 2 rafales. On lit ainsi en page 3 du rapport, et au paragraphe : "C. reconstitution de la scène du crime" : "En résumé, il résulte de cette reconstitution que le prévenu et la victime faisaient face au comptoir. L’arme, accrochée à son épaule droite, s’était glissée (sic) au moment où il conduisait la victime vers le banc de la salle de permanence : une rafale de 3 cartouches avait été tirée, causant 3 impacts sur le sol et blessant ainsi le gendarme qui se trouvait à proximité du comptoir. Surpris par le recul de la culasse et voulant maîtriser son arme, le prévenu avait, par inadvertance, dévié l’arme de sa direction vers la gauche, ce qui avait déclenché une seconde rafale de 3 cartouches, causant les blessures à la victime au niveau des membres inférieurs".
Pour vérifier l’état de fonctionnement de l’arme, les experts ont procédé à un tir d’essai de plusieurs cartouches. Ils déclarent (p.5 du rapport) : "aucun incident de tir n’a été enregistré".
En "conclusion", ils déclarent, entre autres (p.6) :
Si on n’actionne pas la détente, l’arme incriminée ne provoque aucun tir lorsqu’elle tombe de l’épaule. 7. La chute de l’arme sur le sol ne peut déclencher la détente et engendrer les tirs". Il résulte ainsi de cette conclusion que la chute de l’arme n’est pas la cause des tirs, qu’il a fallu, par deux fois, actionner la détente pour faire partir d’abord 3 balles, puis 3 autres. Il faut un hasard singulier pour que, par deux fois et dans un mouvement de chute incontrôlé, le doigt du gendarme se pose sur la détente et appuie involontairement. On peut, semble-il, expliquer la seconde rafale par le doigt resté crispé sur la détente après la première rafale, mais les experts n’envisagent pas cette hypothèse qui est sans doute hors de leurs attributions.
Indépendamment de ces supputations, des conditions de l’interpellation des deux jeunes gens qui restent non élucidées, de la question de savoir si le tir a été volontaire ou non, ce qui sera déterminé par la juridiction de jugement, il reste la gravité même du comportement du gendarme, qui garde à l’intérieur de la brigade, et face à plusieurs personnes, le cran de sûreté levé, et balle au canon. Se peut-il qu’un gendarme "ignora" que son arme était non sécurisée et armée ? On peut à tout le moins parler de ce que les juristes appellent en droit civil, la "faute lourde équipollente au dol" , qui assimile alors l’acte involontaire à l’acte volontaire. Trois membres de la Commission ont assisté à la procédure judiciaire complémentaire de reconstitution des faits dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Béni-Douala en date du 1er juillet 2001. Cette reconstitution n’a pas apporté d’élément nouveau significatif sinon que les déclarations du gendarme Mestari et celles de son collègue Benferdi Mounir se rejoignent sur l’idée de l’arme qui glisse de l’épaule de Mestari avant le déclenchement du tir de six balles en deux rafales de trois balles chacune. Ces déclarations faites le 1er juillet 2001 sont en contradiction avec certaines de leurs déclarations consignées antérieurement. Il reste que les explications apportées tant par le prévenu que par le témoin Benferdi et même les conclusions des services de la police scientifique s’agissant de la trajectoire des tirs, ne concordent pas et ne sont pas satisfaisantes. En prenant en considération le fait que l’arme n’a pas présenté de défection mécanique lors de son examen par les experts en balistique, et la conclusion de ces derniers, il est possible de déclarer que le tir n’a pas été provoqué par la chute de l’arme, mais par une pression sur la détente de Mestari, dans des conditions qui n’ont pas encore été élucidées de façon satisfaisante par l’information judiciaire en cours.
Le témoignage de Merakeb Koceila eut été capital dans la mesure où ses déclarations font état de brutalités exercées sur sa personne et sur celle de Guermah Massinissa. Malheureusement les services de gendarmerie affirment avoir été dans l’impossibilité d’acheminer sa convocation à assister à la reconstitution. Lors de celle-ci, les membres de la Commission ont eu à constater la présence, en nombre, de gendarmes confinés dans des locaux et dans des conditions d’hygiène déplorables, avec l’absence complète de contact avec l’environnement immédiat. Cette situation risque d’entraîner des conséquences néfastes sur le moral des éléments, et des comportements de nature à amener à une nouvelle confrontation avec les jeunes de la région. Le rapport d’autopsie et l’examen de ce rapport indiquent que les balles sont parties de haut en bas. Alors qu’une arme du type de celle que détenait le gendarme Mestari, qui échappe au contrôle de son détenteur, a plutôt tendance à bondir de bas en haut… Le rapport d’autopsie relève que les balles qui ont atteint la victime décrivent une trajectoire oblique de la droite vers la gauche et du haut vers le bas. C’est une trajectoire contraire au mouvement de l’arme : le FA Kalachnikov est une arme d’assaut dont l’angle d’incidence important l’entraîne naturellement du bas vers le haut. Le mouvement contraire observé par le médecin légiste n’est pas convaincant.
2 - le jeune Guermah Massinissa est décédé le 20 avril 2001 à l’hôpital Mustapha des suites de ses blessures.
Dans un rapport du lendemain 21 avril 2001 (n° 140/2001) adressé par le commandement de la gendarmerie nationale à Monsieur le ministre de l’Intérieur, il est signalé "un mouvement de mécontentement et d’indignation … au sein de la population de Béni-Douala, se traduisant par l’envoi d’une requête au commandant du groupement de la wilaya de Tizi-Ouzou…". Le rapport croit devoir ajouter que les habitants du village de Béni-Douala sont de tendance FFS et ont de tout temps "manifesté une hostilité envers le Pouvoir et les services de sécurité, et particulièrement la gendarmerie nationale".
Voilà donc l’explication : le décès du jeune Guermah est imputable à l’hostilité de Béni-Douala au Pouvoir et à ses sympathies FFS !
Mais on relève dans les "documents additifs" transmis par le ministère de l’Intérieur, une résolution de l’APW de Tizi-Ouzou du 30 avril 2001 et transmise directement au ministre de l’Intérieur. Cette résolution rappelle l’appel lancé le 22 avril 2001 par lequel l’APW attirait l’attention des autorités sur les dépassements des brigades de gendarmerie.
Dans un "rapport additif" du 24 avril 2001 (n°145/2001), le même commandement de la gendarmerie porte à la connaissance du ministre de l’Intérieur "l’évolution de la situation à travers la circonscription de la commune de Béni-Douala". Il signale que dès le 21 avril à 8h30 des manifestants ont contraint les directeurs des établissements scolaires et les commerçants à cesser toute activité. A 9 h, une foule "estimée à environ 300 personnes" s’est rassemblée devant le siège de la brigade locale, lançant des projectiles et scandant des slogans hostiles au pouvoir. Cette même foule, à laquelle se sont joints d’autres personnes, s’est scindée en deux groupes ; le premier s’est introduit à l’intérieur de la cour de la brigade où il a mis le feu à des pneus usagés apportés à cet effet, "pour ensuite incendier l’emblème national" et tenter d’investir les locaux administratifs après avoir détruit le mur d’enceinte de l’unité et arraché le portail de l’entrée secondaire. Les gendarmes ont fait usage de bombes lacrymogènes.
Le second groupe s’est dirigé vers le siège du détachement de la garde communale, mitoyen de la brigade, d’où il a été repoussé par des tirs de sommation. La foule fut dispersée par l’intervention des unités du GIR 12 de Tizi-Ouzou dépêchées sur les lieux.
En prévision de l’enterrement du défunt Guermah Massinissa, prévu pour le 23 avril 2001, deux escadrons d’intervention du GIR de Tizi Ouzou ont été acheminés et positionnés à Béni-Douala, un escadron d’intervention renforcé d’une section du GIR de Réghaïa fut prépositionné à Tizi-Ouzou. Trois escadrons d’intervention relevant des GIR de Bouira, Chéraga et Zéralda ont été mis en état d’alerte.
Le 22 avril 2001 à 19h45, la dépouille mortelle de Guermah Massinissa arrive au domicile mortuaire, sis à Tizi Hibel, commune de Aït Mahmoud, daïra de Béni-Douala.
Le 23 avril 2001 à 11h30, 300 personnes, toujours selon les chiffres du rapport additif, se sont rassemblées devant le siège de la brigade locale de Béni-Douala et ont lancé des pierres en direction l’édifice. Cet attroupement a été dispersé par les gendarmes.
A 13 h, le défunt est inhumé au cimetière de Tizi-Hibel et une foule estimée à 4000 personnes assiste aux obsèques. A l’issue des funérailles, le père de la victime "a invité l’assistance à observer le calme et à laisser la justice suivre normalement son cours". Toutefois, selon le même rapport, 500 personnes environ se sont dirigées vers Béni-Douala, distante de 7 km, dans l’intention d’organiser une marche. Quatre cents manifestants se seraient livrés par intermittence à des jets de pierres en direction des membres des forces de l’ordre et tenté d’investir et de détruire la porte principale de la Recette des postes et télécommunications. Ils ont été refoulés.
Ces mêmes manifestants ont tenté de s’introduire à l’intérieur du siège du détachement local de la garde communale, laquelle aurait tiré des coups de feu en l’air. Les unités d’intervention sont intervenues pour rétablir l’ordre.
Le même jour, 23 avril 2001, aux environs de 16h, des manifestants se sont introduits à l’intérieur du siège de la recette des contributions diverses où après avoir fait sortir le mobilier et les documents, y ont mis le feu et se sont dispersés aux environs de 20 heures.
Le rapport précise que les suites judiciaires concernant le gendarme Mestari Merabet, de la brigade de Béni-Douala et auteur d’un homicide, que le rapport qualifie d’involontaire, sur la personne du nommé Guermah Massinissa, seront rendues publique par voie de presse.
Ainsi donc, et malgré ce qu’on a pu déclarer ici et là sur le "calme relatif" qui aurait régné après l’accident du 18 avril, les mouvements de foule ont commencé dès le 20 avril 2001, jour du décès du jeune Guermah et les autorités alertées.
3. - Affaire de Oued Amizour : Le dimanche 22 avril 2001, à 10h30 trois collégiens de Oued Amizour, faisant partie d’un groupe conduit par leur moniteur de sport, sont interpellés et conduits à la brigade de gendarmerie locale, motif pris d’outrage à l’encontre des gendarmes de la brigade.
Ceci devait entraîner, dès 14 h, des manifestations accompagnées de jets de pierres devant la brigade, la sûreté de daïra, le siège de l’APC et la daïra. Les manifestants mirent le feu au véhicule appartenant au sergent chef Sersoub, auteur de l’interpellation des 3 collégiens. Le même jour à 15 heures, le wali de Béjaïa, accompagné des membres de la Commission de sécurité de wilaya, s’est rendu sur les lieux, mais ne semble pas avoir calmé les esprits.
Dans un rapport du 23 avril 2001 (n°142/2001) adressé par le commandement de la gendarmerie nationale au ministre de l’Intérieur, on relève que vers 19h30, la foule a mis le feu à des bureaux du siège de la daïra ; qu’à 21h45 et, après avoir été dispersée, elle se réunit une 2e fois pour se rendre au siège de la daïra où elle a incendié un véhicule appartenant à cette administration, qui était à l’intérieur de la cour.
Toujours le même jour, à 23h45 et d’après le même rapport du 23.4.2001, un tract "à caractère tendancieux", émanant du bureau local du FFS a été placardé sur les lieux. Le 23 avril 2001 une foule nombreuse effectue une marche au centre-ville, en direction de l’APC, lançant au passage des projectiles en direction des sièges de la brigade de gendarmerie et de la sûreté de daïra ;
On apprend d’après le même rapport, qu’indépendamment du dispositif déjà mis en place, des renforts constitués de deux escadrons d’intervention de Jijel et Bordj Bou-Arréridj ont pris position respectivement à Souk El Thenine et Sidi Aïch. Une commission d’enquête est annoncée par ce rapport.
Le tract du FFS, joint à ce rapport, décrit autrement les incidents. Il indique que les trois collégiens ont été enlevés en plein cours par la gendarmerie, que l’enseignant devant qui ces faits ont eu lieu, a subi une pluie d’injures et de menaces avec des klachs. Que les collégiens ont été séquestrés et passés à tabac dans l’enceinte de la brigade. Le tract, daté du 22 avril 2001 parle "d’une opération planifiée" pour faire basculer la région "dans une spirale de violence". Il parle de l’impunité qui a "ouvert la voie aux atteintes systématiques aux droits de l’homme, aux libertés démocratiques et à la liberté d’expression". La section locale du FFS prévient et dénonce "ce plan diabolique concocté dans les laboratoires", et appelle la population " à demeurer vigilante, à ne pas répondre à la provocation et à déjouer tous les complots d’où qu’ils viennent".
Il est significatif de mesurer la distance qui sépare le rapport de la gendarmerie et le texte du FFS. Alors que dans le premier, le sergent Sersoub Mouloud n’a interpellé les trois collégiens qu’à l’effet "d’aviser leurs parents sur leur comportement pour ensuite les relâcher". Dans le tract du FFS, d’une demi-page, il est fait successivement mention d’une "opération planifiée", d’un "plan diabolique" et de "complots".
Deux jours après le premier rapport, le commandement de la gendarmerie nationale adresse au ministre de l’Intérieur un second rapport, du 25 avril 2001 (n° 146/2001), dans lequel il mentionne dès le premier paragraphe que les incidents se sont étendus à Béjaïa, Aokas, Tichy, Akbou, Oued Ghir, Sidi Aïch, Akfadou, Chemini, Adekar, Berbacha, Sémaoune Feraoun, Sedouk, Béni Maouche, Tizi-Ne Barbar et Ouzelaguène … soit 16 localités.
Force est de déduire que, soit il y a eu effectivement un plan, soit que la provocation était tellement grave qu’elle a entraîné des perturbations dans 16 localités. Des marches et des saccages sont signalés ; le même rapport fait état des moyens engagés pour rétablir l’ordre : 6 escadrons venant d’autres localités, et un 7e de Annaba, "prépositionné pour une interventions éventuelle".
L’enquête ordonnée plus haut est effectuée le 23 avril 2001 par le lieutenant colonel Taallah Omar. Il signale le comportement du sergent-chef Sersoub Mouloud, en ce que ce chef de patrouille "a répondu à la provocation en conduisant au siège de la brigade 3 adolescents qui ont proféré des propos outrageants…", "qu’il a manqué de maîtrise et de sang froid", que des sanctions disciplinaires suivies de la relève immédiate de ses fonctions ont été prises à son encontre.
Dans le premier rapport de gendarmerie, du 23 avril 2001 (n° 142/2001) et dans le rapport d’enquête du lieutenant colonel Taallah Omar, les trois collégiens auraient été relâchés par le sergent chef Sersoub. Dans une annexe à une lettre du 6 mai 2001 (n° 115/2001) du wali de Béjaïa adressée à Monsieur le ministre de l’Intérieur, intitulée "faits saillants ayant marqué le mois d’avril 2001, on lit : "22 avril 2001-10h30 " "Interpellation par la brigade de gendarmerie nationale d’Amizour de trois élèves du CEM Emir Abdelkader au moment où le professeur les conduisait vers le stade pour u ne séance de sport". "Libérés aussitôt par le commandant de compagnie de la gendarmerie nationale sur intervention de Messieurs le chef de daïra, le commandant de compagnie de la gendarmerie nationale et le président de l’APC d’Amizour".
A la même page on lit : "A 15 heures : déplacement de Monsieur le wali et tenue d’une réunion au siège de la daïra d’Amizour en présence du chef de sûreté de wilaya adjoint, du commandement de groupement de gendarmerie nationale, du procureur général, du chef de daïra et du président d’APC, pour tenter de calmer les esprits…". Les esprits ne se sont pas calmés … :
le wali s’est rendu le jour même sur les lieux, accompagnés des autorités mentionnées ci-dessus : le chef de brigade a été immédiatement relevé, six escadrons ont été engagés et un septième "prépositionné", seize localités se sont embrasées dans les deux jours qui ont suivi l’incident. Tout cela n’est pas habituel, et il fallait que l’incident fut particulièrement grave, et ressenti comme une provocation ou l’expression d’un "complot"’. Ici, aussi les autorités ont été alertées.
IV - L’utilisation des munitions de guerre
I - Les faits Dans un message du 25 avril 2001 (2001/363), émanant du chef de la division de la Sécurité publique/Commandement Gendarmerie nationale, et adressé aux commandants régionaux de la 1 et 5 « pour action », et aux commandants des groupements de wilaya de la sécurité de Tizi Ouzou et Béjaia « pour action » également, et signé du colonel Maameri Ahmine, on lit :
« Dans le cadre des opérations de rétablissement de l’ordre public qui se déroulent dans vos circonscriptions respectives, il est rappelé que les munitions de guerre doivent être retirées aux personnels agissant en opération de maintien de l’ordre. Ces mesures doivent être strictement observées ».
Ce message semble être un rappel d’instructions antérieures. Il est adressé selon toute vraisemblance à 21h 15. S’il avait été immédiatement exécuté compte tenu de son caractère impératif et de son urgence, cet ordre aurait permis d’éviter les sept morts survenues le lendemain 26 avril dans la wilaya de Béjaïa, très certainement les 8 morts constatées dans la wilaya de Tizi Ouzou le 27 avril 2001, et les 16 autres constatées le 28 avril toujours dans la wilaya de Tizi Ouzou.
Cette instruction est à rapprocher des déclarations faites par le commandant régional de la Gendarmerie de Tizi Ouzou lors d’une conférence de presse tenue le 2 juin 2001 à Tizi Ouzou, reprise par le quotidien El Moudjahid dans son édition du 3 juin 2001, page 9. Cet officier supérieur de l’Arme déclare qu’il avait lui-même retiré le 15 avril les cartouches aux gendarmes.
Ce quotidien rapporte que ce même officier jure à cette occasion que pour l’affaire Guermah, il s’agit d’un accident et que celui-ci revêt aucun caractère inavoué, pas plus qu’il ne constitue une manœuvre visant à soulever la région. Cette déclaration, lourde de sens, constitue une tentative de réponse à une interrogation qui traverse les esprits, s’agissant d’un événement faisant l’objet d’une information judiciaire en cours et ayant entraîné beaucoup d’autres.
Ainsi donc, le 15 avril, le commandant de l’Arme dans la wilaya de Tizi Ouzou retire les munitions, ce qui n’empêchera pas, trois jours plus tard, un de ses éléments, dans les locaux d’une brigade de Gendarmerie à Béni-Douala d’affirmer qu’une ou deux rafales, suivant les déclarations, seraient sorties accidentellement de son arme. Curieuse manière d’exécuter les ordres !
Un second message en date du 21 mai 2001 (01/304/M B.S.P.R.) émanant du commandant du groupement de la wilaya de Béjaïa et destiné, à titre de compte-rendu, au commandant du 5ème commandement régional de Constantine, au Chef de division sécurité publique/CGN, chef du centre opérationnel CGN, et chef du centre opérationnel de la 5e/CTRGN Constantine, et « pour exécution », à tous les commandants de compagnie, commandants de l’ESR et commandants des Escadrons 532 GIR Bordj Bou-Arréridj et 563 GIR Jijel, est ainsi conçu :
« Dès réception des instructions ci-après qui doivent être appliquées par tous les Chefs d’unité et responsables des opérations du maintien de l’ordre. « A - Il est rappelé qu’il est strictement interdit à tout militaire quel que soit son grade d’avoir sur lui des munitions de guerre. La responsabilité du chef est entièrement engagée en cas de défaillance ou non-exécution de cet ordre. « B - Chaque responsable à tout échelon doit veiller à l’application de ces instructions et procéder personnellement à la fouille à corps de tout militaire avant tout déplacement ou déploiement et ce, à l’unité. « C. L’usage de lacrymogènes se fera rationnellement et à bon escient ; j’insiste à ce que le premier tir soit effectué par l’officier directeur des opérations. « D…………… « E…………… « F. N’intervenir que pour rétablir l’ordre en collaboration avec les éléments de la Sûreté nationale et ce, quand le besoin s’en fait sentir. « G. Mettre un dispositif dissuasif pour assurer la protection des casernes et personnels en délimitant un périmètre de sécurité. « H……….. Le caractère contraignant de ces instructions suscite nombre d’interrogations quant aux modalités d’intervention des éléments de la Gendarmerie depuis le 15 avril 2001.
Tout donne à penser que le commandement de la Gendarmerie avait pris des dispositions pour parer à l’éventualité de manifestations à l’occasion de la célébration du « Printemps berbère ». Or il n’a pas été obéi.
II - Le droit Aux termes de l’article 99 de la loi 90/09 du 7 avril 1990, « le wali peut, lorsque des circonstances exceptionnelles l’exigent, faire intervenir les formations de police et de Gendarmerie nationale implantées sur le territoire de la wilaya par voie de réquisition ». Les dispositions édictées par l’article sus-visé n’ont fait l’objet d’aucune modification dans leur exécution après la promulgation du décret présidentiel 92/44 du 9 février 1992 portant instauration de l’état d’urgence, en vigueur à ce jour.
La référence à ce texte réglementaire est nécessaire au vu du document en date du 22 mai 2001 émanant du commandement de la Gendarmerie de wilaya de Béjaïa qui informe ses supérieurs hiérarchiques du refus du wali de Béjaïa de délivrer des réquisitions écrites « en dépit de l’insistance » du commandant de Gendarmerie de la wilaya.
Interrogé verbalement, le wali de Tizi Ouzou, affirme n’avoir jamais délivré de réquisition, ni avoir jamais été sollicité pour ce faire, par quelque autorité du ressort de la wilaya.
Les observations qui précèdent amènent à s’interroger sur les motivations qui sous-tendent la protestation du commandant de Gendarmerie de la wilaya de Béjaïa, soudainement soucieux, le 22 mai 2001, soit plus de un mois après le déclenchement des troubles, de mettre le comportement de son Arme en conformité avec la réglementation en vigueur.
Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que le décret 83/373 du 28 mai 1983 précisant les pouvoirs du wali en matière de sécurité et de maintien de l’ordre public fait obligation de recourir à des réquisitions écrites et motivées. Sur le plan juridique, les actions menées en dehors du cadre réglementaire sus-visé revêtent donc le caractère d’une voie de faits mettant en cause la responsabilité directe des structures en cause.
La commission d’enquête n’a pu accéder aux actes des commissions de sécurité des wilayas concernées tels que prévu par le décret 83/373 du 28 mai 1983 en son chapitre 4, et mises en application par l’instruction interministérielle (ministère de l’Intérieur et ministère de la Défense nationale) du 9 juillet 1983.
Ce qui précède ne constitue que l’un des aspects des dysfonctionnement de l’Arme, qui apparaissent, par exemple dans la façon souvent contradictoire, dont les faits sont rapportés à propos des affaires aussi sensibles que celles de Béni-Douala et Oued Amizour et dans l’inexécution des ordres, donnés par écrit et réitérés.
V - Les mises en garde
Dans un message du 27 avril 2001 (N°) 153/2001) le commandant de groupement de wilaya de Tizi Ouzou, s’adresse à sa hiérarchie d’Alger et de Blida, ainsi qu’à M. le wali de Tizi Ouzou, et rend compte de la gravité de la situation et de l’hostilité montante contre les gendarmes, et estime. « Impérieux d’impliquer et en urgence les autres services de sécurité et d’entreprendre d’autres actions destinées à dissuader les appels de ces manifestations hostiles par les partis politiques ».
A. à défaut, il prévient : « Dans le cas contraire les unités isolées ne peuvent répondre que par l’usage des armes… ». Il ne semble pas que cet appel et que cet avertissement aient été entendus, puisque le recours aux armes était devenu courant, se soldant par le nombre de décès et de blessés indiqué plus haut.
Cela est devenu tellement inquiétant que dans un message du 21 mai 2001, reproduit plus haut, le commandant de Gendarmerie de Béjaïa rappelle l’interdiction à tout militaire d’avoir sur lui des munitions de guerre, que la responsabilité du chef est entièrement engagée, et que : « B/ Chaque responsable à tout échelon doit veiller à l’application de ces « instructions et procéder personnellement à la fouille à corps de tout « militaire avant tout déplacement ou déploiement, et ce à l’unité. Stop ».
Cette fouille à corps doit être la suite de la désobéissance à une précédente prescription du commandement de Blida, et sans doute de tous les commandements régionaux, du 26.04.2001, répercutant apparemment un message du Commandement de la Gendarmerie nationale du 25.04.2001, n° 363, également reproduit plus haut, qui rappelle :
« Dans le cadre des opérations de rétablissement de l’ordre public qui se déroulent dans vos circonscriptions respectives, il est rappelé que les « munitions de guerre doivent être retirées au personnel agissant en opérations de maintien de l’ordre. Ces mesures doivent être strictement observées ». Ou bien que le commandement de la Gendarmerie est parasité et que d’autres forces -internes ou externes au corps- donnent des ordres contraires.
La brigade de gendarmerie de Beni-Douala s’est particulièrement distinguée, elle a fait l’objet d’une pétition signée du 2.08.1999 adressée au commandant de Gendarmerie de Tizi Ouzou. Cette pétition fait état de la situation alarmante qui prévaut à Taguemount Azouz, dans la daira de Béni-Douala : vols, vente de drogue, vente illégale de vin, lieux de débauche, insultes de la part des gendarmes, intimidation à coup de rafales. Les signataires demandent « le changement radical de tout le corps de cette brigade qui, actuellement, n’honore pas nos services de sécurité… ».
Une deuxième pétition, adressée aux autorités civiles et militaires, arrivée au cabinet du wali de Tizi Ouzou le 11 décembre 1999, réitère ces griefs, rappelle un crime non élucidé, en date du 5.03.1999 et dénonce « le comportement indécent de certains éléments de la brigade de Gendarmerie de Béni-Douala ».
Ces pétitions ne semblent avoir abouti qu’à la mutation et au remplacement du chef de brigade de Béni-Douala à compter du mois de janvier 2000 (lettre de M. le wali de Tizi Ouzou à la Commission nationale d’enquête du 16 juin 2001 - n° 19/CAB/2001).
Dans une lettre du 21 avril 2001 (n°531/2001) le président de l’APC de Beni-Douala lançait encore à M. le wali de Tizi Ouzou un appel dramatique. Il signale que « la situation prend des proportions inquiétantes », qu’il y a lieu de prendre les mesures nécessaires, « notamment avec les groupes de Gendarmerie nationale, de manière à interpeller les éléments de la Brigade de Béni-Douala, de surseoir aux tirs de sommation et l’utilisation de bombes lacrymogènes qui ne peuvent conduire qu’à des conséquences fâcheuses ».
Dans une lettre du 5 mai 2001 (n° 421/2001), adressée à M. le wali de Tizi Ouzou, le président de l’APC de Tadmaït rend compte du comportement de certains éléments de la Brigade de Gendarmerie de sa localité. Il écrit entre autres : « Nous ne comprenons pas ces agissements et nous nous posons des questions encore une fois quant aux objectifs de ces provocations ». « Nous constatons avec regret qu’au moment où des voix s’élèvent pour appeler au calme, ces gens continuent à attiser le feu en allant chercher des jeunes chez eux pour les massacrer ».
Dans une note de synthèse du 15/05/2001, le centre des opérations du commandement de la Gendarmerie nationale fait état d’une plainte pour vol de son kiosque, émanant du nommé Yacoubi Akli, commerçant à Azzeffoun, mettant en cause « des éléments de renfort ».
Les premiers éléments de l’enquête ouverte par la brigade de la Gendarmerie locale « ont permis la découverte d’objets signalés volés auprès de certains gendarmes (éléments de la Brigade locale et de GIR d’Oran) ».
Dans une lettre du 26 avril 2001 (n° 2592) adressée au ministre de l’Intérieur, le directeur général de la Sûreté nationale rend compte de la situation et de l’évolution du mouvement, dans les wilayas de Tizi Ouzou et Béjaïa. Il signale la grogne qui règne, le rôle des partis politiques et associations, et prévient : « Aussi, il est clair que tous ces appels et les lectures partisanes qui sont faites de la situation, sont susceptibles d’influencer le cours des évènements et de provoquer un embrasement, pouvant prendre la forme d’une insurrection ».
Dans une autre lettre, non datée mais portant le n°3131, le même haut fonctionnaire fait parvenir à son ministre, copie de quatre communiqués, émanant de syndicats locaux et écrit : « Aux termes de ces écrits, il est réitéré la plate-forme de certaines revendications, portant sur l’injustice, l’impunité, les revendications démocratiques et socio-économiques », et appellent à une « grève générale, marche et meetings », pour le samedi 19 mai 2001 à Béjaïa. La revendication identitaire n’était plus la préoccupation première.
On relève d’autres messages de Chefs de daïra, notamment de Draa El Mizan et de Tizi Ouzou, Boghni, Ouzellaguen, Larbaâ Nath Iraten, Ouaguenoun et Beni Yenni. Le dernier fait état d’une situation alarmante. Les autorités étaient mises au courant et prévenues.
VI - Les témoignages
Les membres de la Commission qui se sont déplacés à Tizi Ouzou et à Béjaïa ont entendu, malgré la réserve exprimée à l’encontre de toute commission d’enquête, des autorités, des élus, des universitaires et de simples citoyens dans chacune de ces deux villes et alentour.
Jughurta et Ali, de Béni-Douala, Slimane, étudiant, Nacéra étudiante, Hamid, commerçant, Rachid, Djazira et Hocine, Nourredine. Ils sont de Beni Douala, Aïn El Hammam, Tizi Rached, Mekla, Maâtkas.
Ali, de Beni Douala, déclare que le jeune Massinissa avait été « embarqué » par un gendarme et deux civils dans une voiture Laguna, et qu’il a été torturé. Les personnes qui étaient autour de lui confirment la version.
A Tizi Ouzou, le jeune Boughrara, sortie de chez lui pour rejoindre un groupe qui était en face des CNS, à une distance de 200 m environ, s’écroule, touché de 2 balles. La 3e est allée se loger dans le mur du bâtiment.
A Aïn El Hammam, dit Djazira, 33 ans, un gendarme tire délibérément sur une femme à son balcon. Elle en meurt.
Deux jeunes gens de Tizi Rached, et dans une longue déposition, rapportent ce qui se passe chez eux. S’agissant du corps de la gendarmerie dans sa globalité, il lui est reproché : sous le vocable de « hogra », de nombreuses exactions de manière plus précise, la gendarmerie serait un corps corrompu avec la base un véritable système fondé sur une répartition des rôles. C’est ainsi que certains gendarmes se seraient spécialisés dans les cartes du service national, d’autres seraient les « parrains » du transport du sable, d’autres enfin « exploiteraient » les documents afférents aux véhicules automobiles. le 3e grief a trait aux mauvaises mœurs et à la débauche puisqu’à Sidi Rached, localité rurale, existent 2 lieux de débauche, débit de boissons et cabaret, fréquentés par les gendarmes, qui par ailleurs, en garantiraient le maintien. Ceci est très mal accepté par la population. Ils reprochent à un gendarme en particulier un certain Nabil, d’avoir délibérément commis un véritable meurtre le samedi 28 avril vers 13h. Ce gendarme, connu sous le sobriquet de Van Damme, aurait profité de ces graves évènements pour opérer un règlement de compte en assassinant Ahmane Mourad, 38 ans, marié, 2 enfants. Les relations entre le gendarme et ce citoyen s’étaient particulièrement dégradées lorsque ledit gendarme, jeune et célibataire, s’était montré irrespectueux à l’égard des jeunes filles de la localité. Selon les 2 témoins, ce gendarme qui se trouvait sur la terrasse de l’édifice de la Gendarmerie le samedi 28 avril à 13h, a froidement mis en joue Ahmane, qui était debout à proximité de son lieu d’habitation, situé à plus de 100 m de l’édifice, et l’a abattu d’une balle de Séminov, tirée dans le crâne. Ce fait serait à l’origine d’une escalade de violence puisque les jeunes de Tizi Rached essayèrent à trois reprises de forcer le portail du siège de la Gendarmerie au moyen de 3 véhicules lourds, propriété de la commune.
Les griefs qui reviennent toujours et dans la bouche de tous, seront résumés par Noureddine, de Maâtkas : « La hogra, la corruption, les passe-droits sont la règle dans la wilaya de Tizi Ouzou ».
S’y ajoutent l’absence de sanction à l’encontre des responsables, l’absence de réaction des autorités politiques, et l’ordre de tirer, qui est bien venu de quelque part… dans des cas qui ne sont pas tous des cas de « légitime défense ».
Un haut responsable de l’Etat, exposant les faits qui se sont déroulés dans la wilaya de Tizi Ouzou, laisse percer son dépit : « On n’a pas le droit de faire subir à la région pareilles choses… « On n’a pas le droit de sacrifier la région… On n’a pas le droit d’exploiter pareillement la mort de Maâtoub Lounès… Aujourd’hui c’est… qui s’exprime, mais demain ce sera le simple citoyen qui s’exprimera… ».
Cinq universitaires, (deux sociologues, deux linguistes et un économiste) font un large exposé devant les membres de la commission.
Ils brossent un large panorama des problèmes de la région, qui vont de la sensibilité culturelle et identitaire au chômage et à la misère qui sévissent dans la région. Les corps de l’Etat sont accusés d’encourager la délinquance et la corruption. Le corps de la gendarmerie est soupçonné de complicité agissante et impunie avec des réseaux de trafic de sable, de proxénétisme et de circulation de la drogue jusque dans les établissements scolaires. Il semble, d’après ces témoins, que la situation de lutte contre le terrorisme ait donné des pouvoirs exorbitants à certains gendarmes, qui semblent échapper de fait au contrôle de leur hiérarchie et au contrôle social de la population puisqu’ils ne sont généralement pas originaires de la région (contrairement aux autres corps de police dont le recrutement serait plus local).
Les témoins se déclarent consternés par l’ampleur de la répression.
Trois membres de la commission se sont rendus le mardi 22 mai 2001, au siège de l’ONM, où ils ont rencontré le secrétaire général, son adjoint et le secrétaire général de l’ONEM.
Ils brossent un tableau général de la situation en Kabylie. Ils donnent des faits précis :
Le chef de brigade de Mekla a ordonné à ses gendarmes de ne pas tirer sur les manifestants et qu’il abattrait quiconque enfreindrait ses ordres, Par contre, un autre chef de brigade est surnommé Ringo A Larba Nath Irathen, ils ont appris que la police a tiré sur la stèle de Abane Ramdane A Oued Aissi, des meurtres relatifs aux affaires de sable n’ont pas été élucidés. Interrogés sur l’éventualité d’un complot, ils répondent par l’affirmative et ajoutent que « la cause amazigh est trahie ». Ils ne donnent pas plus de précisions. Les avocats de Tizi Ouzou, auxquels deux confrères membres de la Commission ont rendu visite, marquent leur réticence, mais parlent quand même. Les réticences sont expliquées par l’inefficacité des précédentes commissions, par le fait qu’elles ne sont destinées qu’à « anesthésier l’opinion et enterrer les problèmes ».
L’un d’eux résume et ironise : « le pouvoir tue et le pouvoir enquête ».
Ils attendent un signe fort des autorités politiques par exemple, et en premier des sanctions contre ceux qui ont donné l’ordre de tirer car, ajoute l’un d’eux « les gendarmes n’auraient jamais tiré sans l’ordre de leur hierarchie ». Ils donnent des informations, soit sur un ton affirmatif, soit au conditionnel. Ainsi, « les assassins de manifestants sont clairement identifiés par les citoyens et les comités de village ».
« Les rapports d’autopsie démontrent l’intention de tuer. Pour quelle raison utiliser des balles explosives ? Pourquoi tirer dans le dos ? Pourquoi l’absence de sanctions ? »
« La mort des 8 policiers de Tigzirt » ne serait pas le fait du GIA. « La population pense plutôt qu’il s’agit d’une vengence des gendarmes sur ces policiers, tous natifs de la région et qui avaient exprimé leur sympathie à cette même population ».
Il y aurait eu des échanges de tirs entre les gendarmes et les policiers. C’est ainsi qu’à Larba Nath Irathen, les manifestants ont saccagé le siège de la brigage sans toucher le commissariat de police mitoyen.
Un avocat ajoute : « Les gens s’interrogent sur la non-intervention de l’Armée, il s’agit donc d’une lutte de clans au sein du pouvoir ou chacun essaye de pousser l’autre à l’erreur, la population civile faisant les frais de toutes ces luttes intestines ».
Un autre avocat précise : « Nous ne sommes pas contre les gendarmes, mais contre le responsable qui a donné l’ordre de tirer sur les manifestants ».
« Le colonel de la gendarmerie, le commandant du secteur militaire sont toujours en place.
« Une victime transportée par Maître Fellahi, a été arrachée de ses mains par les gendarmes de la brigade de Mekla qui l’ont achevée ».
A Azazga, ajoute un autre, « un gendarme a tué quatre personnes par ailleurs, les criminels sont identifiés, les présidents des comités de village ont la liste de tous les auteurs de ces crimes, qui sont malheureusement toujours en liberté.
« Le résultat des travaux de la commission doit être publié dans la presse ».
Le groupe dit de Béjaïa, sous la responsabilité du bâtonnier Abdelwahab Benabid, se rendit dans cette ville le 21 mai 2001. Mais dès le 7 mai des contacts ont été entrepris avec les localités de Amizour, Sidi Aïch, Seddouk, Akbou, Ighzar Amokrane et Souk El Thenine pour recueillir des témoignages.
Le 21 mai 2001, le groupe rencontra M. le wali de Béjaïa. Celui-ci fit un tableau général de la situation. Il établit le bilan au 21 mai 2001 : 13 tués par balles et 82 blessés par balles. Le nombre total de blessés serait à cette date de 511 dont 87 gendarmes. Il signale la perte d’un œil de la petite fille d’un gendarme, ainsi que l’incendie des sièges des partis FFS et RCD à Amizour. Il attribue « ces évènements » aux éléments « trotskistes, du PST et notamment ceux activant au sein de l’éducation ».
Quant à l’incident d’Amizour, le wali reprend la version diffusée par les gendarmes. Il considère celui-ci comme pure coïncidence avec celui de Béni Douala, que les opérations de contrôle et de saisie des marchandises auprès des commerçants, qui avaient menacé de faire grève, entraient dans le cadre des attributions classiques du Darak. Mais le wali précise que les marchandises saisies ont été restituées, qu’il n’était pas au courant de cette initiative et qu’aucun ordre n’a été donné par lui. Qu’une réunion avait été organisée avec les services concernés et qu’il avait donné ordre « de ne plus entreprendre de telles démarches sans son accord préalable ».
Le wali donne les causes, économiques et sociales, qui ont influé sur les évènements. Il « n’a pas exclu une main cachée des gros commerçants concernés par l’import » ni une implication « de mains étrangères derrière tout cela ». Ce sont donc les « gros commerçants », et des « mains étrangères », qui auraient saisi, puis restitué, les marchandises, fait interpeller les trois collégiens d’Amizour et fait tirer sur Guermah Massinissa !
Les membres de la commission continuèrent leurs investigations. Les responsables de la santé leur parlèrent des morts et des blessés. Les enquêteurs essayèrent de récupérer les balles extraites des corps. En vain, les autorités invoquant tour à tour l’absence de telle ou telle personne, ou simplement l’erreur ou l’oubli.
A Tichy, Aokas, où le groupe est arrivé au milieu des échauffourées, les membres de la commission entendirent ce qu’ils avaient déjà entendu ailleurs : provocations, tirs à balles réelles, pillages et casse. Un président d’APC précise que « les dépassements sont programmés », et que les manifestations sont dues « aux provocations de darkis ». Les diverses autorités de Béjaia donnent, soit des versions déjà mises au point, soit des sanctions prises… tout ceci déjà entendu ailleurs.
VII - La presse
Les constats et les témoignages rapportés par la presse algérienne sont trop nombreux, trop précis et trop pleins de certitudes pour ne pas être relevés. Les témoignages de seconde main ne sont pas des preuves au sens juridique, mais la presse a occupé une place si grande et marqué si fortement l’opinion qu’elle ne peut pas laisser indifférent. Les sondages opérés dans la lecture des quelques quotidiens permettent de constater que sur plus de deux mois les dépassements continuent…
Le quotiden Le Matin du 23 mai 2001 rapporte (p.3) les témoignages déposés devant la délégation du Parlement européen, et plus précisément devant Mme Hélène Flautre, députée européenne, et son assistant Claude Taleb.
Le mari de Nadia Aït Abba, enseignante tuée à Aïn El Hammam, le 28 avril, déclare, tel que rapporté par le journal : les gendarmes ont violé les franchises scolaires. Ils ont saccagé de nuit l’école où enseignait la défunte avant d’écrire sur sa blouse : « Vive la gendarmerie nationale et à bas Tamazight ». Le journal rapporte que les gendarmes ont tiré sur des gens qui voulaient secourir des blessés. Ainsi, de M. Ouidir Salah, blessé au genou le 28 avril à Aïn El Hammam, qui dit avoir vu les gendarmes « empêcher les manifestants de secours les blessés ». Ce serait le cas de Aït Amar Omar « tué parce qu’il était venu secourir ».
Le père de Belhouane Azzedine, 25 ans, tué lors des émeutes qui ont éclaté à Larbaâ Nath Irahen, dira : « Le visage de mon fils a complètement sauté, preuve qu’il a été tué par des balles explosives. Il était méconnaissable ».
Les incendiaires continuent . La presse du jeudi 24 mai 2001 rapport à la une :
Kabylie : c’est l’escalade (Le Matin) Liberté : Kabylie : dangereuse escalade El Watan : Poursuite des émeutes à Béjaïa Le Quotidien d’Oran : La situation s’aggrave à Béjaïa. C’est l’embrasement dans la région du Sahel à l’est de Béjaïa. Le Soir : Excédée, la Kabylie se rallume. Le même jour, les télévisions étrangères (TF1 et France 2) montrent la manifestation de 10.000 femmes à Tizi Ouzou.
Le quotidien Le Matin du 24 mai 2001 rapporte : « Hier vers 19h 30 des gendarmes ont fait usage de leurs kalachnikovs, en tirant sur les murs des maisons et des locaux commerciaux à Souk El Tenine. Ils ont même, selon des témoins oculaires, procédé à la destruction de pharmacies, de kiosques et de cabines téléphoniques au moyen de bulldozers et autres engins de travaux publics ». Le même journal rapporte qu’à El Kseur « les CRS ont violé plusieurs domiciles et quelquefois défoncé des portes ».
Le journal ajoute que « en réaction à la répression de plus en plus incontrôlée exercée par les forces de sécurité dans plusieurs localités de Béjaïa, les manifestants ont multiplié les destructions ces dernières vingt-quatre heures. Dans la seule ville de Kherrata, qui relève de la wilaya de Sétif, une station d’essence Naftal a été incendiée ainsi que la recette des Impôts ».
Le même journal rapporte (P.3) qu’à Tigzirt on continue à tirer à balles réelles.
La Nouvelle République, du même jour jeudi 24 mai 2001, rapporte (p.3) qu’à Maâtkas, un jeune manifestant « a été tabassé et déshabillé avant d’être jeté dehors. Cette même gendarmerie a, par ailleurs, proféré des obscénités et porté atteinte à l’honneur des habitants ». El Watan du même jour, rapporte (P.3) qu’à Tizi Ouzou des échauffourées nocturnes continuaient entre la population et les CNS. Il signale que « la résidence du commandant du groupement de Tizi Ouzou a failli être la proie des flammes. ».
Le même journal annonce (p. 23) un nouveau commandant de groupement à Tizi Ouzou. Plus d’un mois après le début des troubles qui ont éclaté dans la région !
Liberté du même jour, jeudi 24 mai 2001, signale l’attaque par des gendarmes d’un bar à Tizi Ouzou et les mauvais traitement infligés aux consommateurs que l’on a fait sortir.
Le même journal ajoute à la même page (3) l’attaque de la brigade de Tizi Ouzou à 22h 30 par une dizaine de jeunes gens qui, à l’aide de cocktails Molotov, ont incendié la brigade. Les gendarmes sortis, « ont décidé de s’en prendre aux premiers passants ». Et le journaliste déclare avoir vu de son bureau en direct « le passage à tabac de trois individus », l’un portant un cartable, les deux autres « d’un âge très avancé ».
Les CRS (sic) ne seraient arrivés qu’à 23h 15, mais à 00h55, les émeutiers « pas disposés à rentrer chez eux », auraient allumé un grand feu au niveau de la rue « menant vers l’hôpital Nedir ». Le journaliste ne donne pas la suite.
La presse du 19 juin 2001 fait état de troubles qui perdurent depuis maintenant deux mois et ne semblent pas devoir s’arrêter.
Un quotidien du 19 juin 2001 donne même le titre suivant à l’un de ses articles, à propos de Tizi Rached : « Des gendarmes pillent la ville ». L’article commence ainsi : « Après l’expédition punitive organisée récemment à Tizi Rached, les gendarmes viennent de franchir une étape dangereuse pour la survie-même de l’Etat en tant qu’Etat et Nation, en saccageant, pillant et brûlant pratiquement tout le chef-lieu de la commune de Tizi Rached »
Un quotidien du même jour affiche le titre suivant : « la tension demeure vive en Kabylie et s’étend à l’Est ». Il fait état de trois morts à Akbou, 40 blessés à Aïn M’lila et deux autres par balles à Draâ Ben Khedda et Ath Yenni. Annaba, Tebessa, Aïn M’lila, Batna, Khenchela, Guelma, El Tarf et Oum El Bouaghi sont touchées.
L’émeute semble être l’unique langage entre la société et le pouvoir.
Sous la plume de son reporter, Yahia Harkat, le quotidien Le Matin du mardi 26 juin revient sur les fusillades qui ont eu lieu à Draa El Mizan le jeudi d’avant (21 juin). Le journaliste se rend à l’hôpital Krim Belkacem de la localité et interroge les blessés.
Hakim raconte : « J’étais à 300 m de la brigade lorsque à partir de la bâtisse de la gendarmerie, un gendarme m’a tiré deux balles dans le dos ». (tir à balles et à grande distance).
A 10h30, les premières rafales font les premières victimes : Didouche Ferhat (14 ans) décède au cours de son transfert vers un hôpital d’Alger, alors que Khalfouni Kamel (28 ans) rendra l’âme juste après son admission à l’hôpital. Ali (27 ans) a été touché par six balles dans les parties génitales. Il reconnaît avoir pris part à la « manif » de mardi où cinq jeunes gens ont été blessés par balles, mais ce jeudi, c’est au moment où il est sorti de la maison qu’il a été touché par les tirs d’un gendarme (tir à balles et à grande distance et sans motif de légitime défense).
Belabiod Hakim (29 ans) « était ce jeudi noir loin du siège de la brigade… mais il n’a pas échappé puisque Hakim a été touché par une balle dans le dos… : « jeudi, j’étais à 500 m de la brigade, à côté de la Casoral. Un jeune de Draâ El Mizan est blessé à l’œil par une bombe lacrymogène. J’accours pour le secourir, mais un gendarme qui a suivi mes mouvements, a tiré 4 balles dans ma direction dont une m’atteindra dans le dos. Son copain, Saïd Benzahi (21 ans), a été lui, touché à la cuisse : « c’est vers 14h qu’un gendarme m’a visé avec un séminov. Même les secouristes « n’ont pas été épargnés ».
M. Amrani Noureddine, n’est pas un émeutier. Père de famille, il travaille comme gardien à l’hôpital Krim Belkacem. Il témoigne : « Il devait être midi, ce jeudi, lorsque les gendarmes ont mis le feu à un champ de blé non loin de la brigade. Au moment où je suis intervenu en les interpellant sur le danger d’un tel acte, un des gendarmes n’a pas trouvé mieux que de me tirer dessus. La balle qui m’a atteint à la cuisse m’a transpercé le fémur. » Les gendarmes auraient même « tiré des balles et des bombes lacrymogènes en direction de l’hôpital », poursuit Noureddine.
Si Yahia Dahmane, commerçant, a eu les doigts tailladés lors des affrontements de jeudi. Pour lui « les gendarmes ont fait dans la provocation ». Mais, poursuit le journaliste, c’est jeudi que l’irréparable a failli se produire. 16 blessés par balles et des dizaines d’autres par des bombes lacrymogènes ont été enregistrés.
Améziane Mourad, 19 ans, a été touché par balles loin de la brigade à côté de l’hôpital. Pour lui, c’est la preuve que les gendarmes ont fait dans la provocation. Son collègue, Menas, 27 ans, tient, lui aussi, à témoigner : la balle qui l’a atteint lui a transpercé le bassin. C’était jeudi à 12h 30. Comme les autres blessés, il a été touché loin du siège de la brigade :
« J’étais un peu isolé de la foule quand j’ai vu un gendarme en position de tir dans ma direction. J’ai essayé d’esquiver mais la balle m’a atteint au bassin ». Aziz, 20 ans, a été l’un des premiers à être blessé, jeudi dernier à 10h. « Le gendarme m’a pourchassé d’une rafale de balles dont une m’a fracassé le péroné. Je suis donc tombé à terre, le gendarme a poursuivi sa course folle vers moi, sans doute pour m’achever. C’est grâce à des manifestants qui m’ont évacué à l’hôpital que j’ai eu la vie sauve ». Son état reste néanmoins critique.
Le journaliste signale que des manifestants avaient remis un chargeur de balles aux autorités locales, récupéré à Tizemrin, après qu’un gendarme eut tiré sur un mulet.
Conclusion
La réaction violente des populations a été provoquée par l’action non moins violente des gendarmes, laquelle, pendant plus de deux mois, a nourri et entretenu l’événement : tirs à balles réelles, saccages, pillages, provocations de toutes sortes, propos obsènes et passage à tabac. La commission n’a pas relevé de démenti.
Au commencement ce ne sont pas les foules qui ont été l’agresseur. Elles ne sont pas à l’origine des deux événements déclenchants (Guermah et Amizour). Si quelqu’un a forcément donné l’ordre de tirer à balles réelles, en revanche personne n’a donné l’ordre de cesser le feu.
Les gendarmes sont intervenus sans réquisition des autorités civiles comme la loi le stipule.
Les ordres de la gendarmerie de ne pas utiliser les armes n’ont pas été exécutés, ce qui donne à penser : Où que le commandement de la gendarmerie a perdu le contrôle de ses troupes. Où que la gendarmerie a été parasitée par des forces externes à son propre corps, avec forcément des complicités internes, qui donnent des ordres contraires, et assez puissantes pour mettre en mouvement la gendarmerie avec une telle rudesse pendant plus de deux mois et sur une étendue aussi vaste.
La Gendarmerie nationale a été isolée et impliquée seule. Son appel (du mois celui d’un groupement régional) à impliquer les autres services de sécurité, et ses mises en garde, n’ont pas reçu d’écho.
La violence enregistrée contre les civils est celle d’une guerre, avec usage de munitions de guerre.
La légitime défense, notion juridique, est corrigée par l’opportunité politique. Au demeurant c’est une autorité tierce, en droit pénal, les tribunaux, qui apprécie l’état de légitime défense, et non l’une des parties.
Comparativement la manifestation sans précédent, du 14 juin 2001 à Alger, a pu être contenue sans usage d’armes à feu, et 20 ans auparavant, en Kabylie, la répression n’a pas engendré de morts. Les troubles qui ont affecté certaines localités de l’Est du pays ont cessé aussi vite qu’ils sont apparus, ce qui peut signifier que derrière les troubles qui ont secoué les wilayas de Kabylie, puis les autres localités, il y a volonté de l’homme.
Aucune force du paysage politique algérien n’est capable de soulever une région, sur une telle étendue et en si peu de temps, ni étendre les troubles à plusieurs localités de l’Est du pays et y mettre fin en quelques jours.
La mort de Guermah et l’incident d’Amizour ne sont que les causes immédiates des troubles constatés. Les causes profondes résident ailleurs : sociales, économiques, politiques, identitaires et abus de toute sorte. Les responsabilités sont situées en amont.
Les autorités et les institutions ont été averties dans des délais raisonables et le directeur général de la Sûreté nationale a même laissé prévoir une insurrection. Cela n’a reçu aucun écho et donne la désagréable impression que personne ne s’était senti concerné.
La Commission nationale d’enquête s’est heurtée à des réticences et des refus déguisés dans ses demandes de renseignements, documents, balles extraites et radiographies. Des « sachants » se sont manifestés, par téléphone ou par intermédiaire, mais déclarent ne pouvoir témoigner dans la conjoncture actuelle.
On ne peut justifier le laxisme et les négligences, comme on ne peut expliquer les dépassements, par l’insuffisance de la formation et ainsi justifier l’impunité des responsables, qui restent à identifier.
Les meneurs, les « récupérateurs » et les télévisions étrangères sont intervenus en aval. Ils n’ont pas déclenché les événements, qui ont commencé à Béni Douala pour s’étendre à 16 localités, puis Amizour pour gagner finalement 11 autres localités.
Si une « main » quelconque peut, aussi rapidement et aussi facilement, soulever une région du pays, loin des côtes, des ports et des aéroports, cela signifierait que l’Algérie est dangereusement vulnérable et que la République n’est pas capable de prévoir, déceler et contenir.
Ce sont là les conclusions provisoires de la Commission Nationale d’Enquête. Elle continuera les investigations lorsque les langues seront déliées, la peur disparue et les éventuels témoins sécurisés.
Alger le 7 juillet 2001
Liste des membres de la Commissionnationale d’enquête :
Issaâd Mohand (professeur de droit, avocat, président de l’ex-CNRJ), Ablaoui Mohamed Arezki (avocat, bâtonnier d’Alger, membre de l’ex-CNRJ), Allouache Driss (avocat, juriste-enseignant, membre de l’ex-CNRJ), Ammed Mostapha (ancien parlementaire), Bahloul Mohamed (économiste), Bakelli Abdelouahab (ancien ministre, ancien parlementaire), Belabid Ali(architecte), Benabid Abdelouahab (avocat, bâtonnier de Sétif, membre de l’ex-CNRJ), Benchaâbane Redouane (avocat, bâtonnier de Blida, membre de l’ex-CNRJ), Benhizia Mounir (juriste-enseignant, membre de l’ex-CNRJ), Benmesbah Djaffar (journaliste), Bennadji Cherif (professeur en droit), Boudiaf Ahmed Réda (avocat, bâtonnier national, membre de l’ex-CNRJ), Chenaïf Fatima Zohra (magistrat, membre de l’ex-CNRJ), Cherif Amor (avocat, ancien bâtonnier adjoint), Djeghloul Abdelkader (sociologue), Djilali Ghalib (professeur de médecine), Foudil-Bendjazia Chafika (avocat, membre de l’ex-CNRJ), Ghouadni Mahi (avocat, bâtonnier d’Oran, membre de l’ex-CNRJ), Ghouma Brahim (ancien parlementaire), Lakhdari Saïd (juriste), Louaïl Mohamed Lamine (magistrat, membre de l’ex-CNRJ), Meziane Ali (avocat), Remaoun Hassen (sociologue), Yanat Abdelmadjid (juriste-enseignant), Zekri Abdelaziz (industriel, ancien membre du CNT).